Pérenniser un jardin de soin : utopie ou projet difficile? partage d’expérience

Pérenniser un jardin de soin : utopie ou projet difficile? partage d'expérience (Ph. Walch)

Les chefs de projet et les paysagistes constatent que, malgré une conception participative, leurs jardins de soin installés sont trop peu souvent pérennes. Les végétaux continuent à vivre mais hors des cadres fixés par les humains, les circulations deviennent glissantes, bosselées ou creusées…

Quelles sont les causes de cette baisse d’engagement de l’entretien?

Comment enclencher une remédiation rapide ou, dès le début, ancrer le projet dans le temps?

Au regard de mes expériences personnels et des échanges avec mes pairs de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé, je propose constats et quelques pistes.

CONSTATS

  •  Le jardin a été élaboré en un “one-shot” commercial comme n’importe quel jardin de particulier dont vous n’avez même pas la première année d’entretien (cas très fréquent). C’est inconcevable dans un jardin d’unité de soin en EHPAD ou autre.
  • Le suivi du jardin a été évoqué lors de la phase amont mais une fois le jardin réalisé, on s’aperçoit qu’aucune équipe de suivi n’a été mise en place et un an après… c’est le découragement. C’est la jungle et plus rien ne s’y passe donc.

  • La phase aval du projet qui prenait en compte l’entretien n’a pas été validée par la direction. Au mieux, le devis estimatif proposé par le paysagiste reste sans suite, il n’a pas même été mis en concurrence. Au pire, il a été oublié.

  • Le dossier maintenance contenant les pièces nécessaires (plans des réseaux dont arrosage et électricité, plan masse, planning calendaire ou pas, des tâches à accomplir, liste des plantes, plan de plantation, ET enveloppe estimative annuelle de l’entretien par le paysagiste…) n’a pas été transmis sur le bon bureau, au bon service.

  • L’enveloppe est estimée trop chère et on décide de le faire avec des bénévoles et des soignants. Cela devient un projet bricolé, malgré le travail des bénévoles. Dommage.

  • Le ou la porteur-se du projet au sein de l’établissement à changé de poste et le relai n’est pas assuré…(sur six jardins réalisés, cette situation s’est présentée deux fois dans des structures différentes qu’elles soient publiques ou privées)
crédit photo Ph Walch
crédit photo Ph.Walch

Octobre 2020 Réception du jardin

Mai 2021 Etat du jardin

Les soignants et les soignés ont désherbé une vingtaine d’heures mais c’est insuffisant. Et il n’y a pas de suivi d’entretien.

Le jardin d’une MAS pour personnes poly-handicapées, entretien médiocre, prise en charge négligée. Dommage, alors que le projet était initialement porté par une équipe motivée par le mieux-être des accueillis.

PISTES

Ainsi tous les prétextes sont bons et la négligence de mise.
Il semble d’emblée qu’il faille INSISTER dès le départ de la réflexion, sur ce point de la MAINTENANCE

  •  Livrer le jardin avec au minimum un référent nommé officiellement comme responsable du jardin auprès de la structure. En général ce sont des personnes de l’équipe dites “comité de pilotage” ou COPIL. Infirmières, Psychologues, animatrices, aide-soignantes tous les profils apparaissent. 

  • Le paysagiste doit s’assurer au bout de quelque temps que tout cela fonctionne, en passant par là, en appelant qui de droit. Ce n’est pas tant une question de période de garantie de reprise des végétaux mais plutôt de savoir si le projet fonctionne. Pour ma part, je chiffre dans la mission quelques heures dans le montant. Elles n’apparaissent pas mais je sais que je peux y consacrer du temps. Et cela me conforte que l’on est bien dans l’objectif de mieux-être propre à l’établissement.

  •  Poser des dates calendaires ancre la problématique dans le temps. Je crois que cela vient en partie du fait que le jardin dans l’inconscient collectif est synonyme de bon temps, de détente, d’exposition aux éléments naturels participant au mieux-être et plus généralement de bien-être. Vous êtes paysagiste, “hortithérapeute”, c’est un métier sympa où vous travaillez sur et avec les plantes. C’est quasi un hobby et non un travail.  Si le jardin est vu comme un décor extérieur, votre message n’est pas passé. Il faut reparler de soin, des rôles du soignant, du soigné et du jardin. Cela met en lumière que le végétal ne se suffit pas à lui-même pour s”enraciner lors de la reprise. Les pluies et le paillage ne sont pas une réponse définitive dès le départ. Cela permet aussi de démontrer le professionnalisme jusque là et cela personne ne vous le reprochera.

  • A la troisième réunion du COPIL IL FAUT avoir préparé un devis estimatif d’interventions listées pour l’entretien du jardin, avec planning sommaire mais donnant leurs fréquences ET écrire la date de la première intervention de maintenance. Tous les postes apparaissent : arrosage manuel, dates/départ, chômage de l’arrosage auto, tailles, désherbage, ramassage des feuilles et chêneaux, fauches, ou tontes (espacées, biodiversité oblige…)

Cela a aussi l’avantage d’inscrire la maintenance dans l’appel à projet pour le financement. C’est un budget de fonctionnement – et plus encore d’investissement – mais le professionnel ne doit pas se départir de cet aspect là. Il est inhérent aux objectifs initiaux du projet.

  • Dans la Mission de co-conception, pointer la taille de maturité des plantes notamment ligneuses. Ex : à la plantation on prévoit des plantes de force 80/100CM en conteneur de 7 litres. Une note annexée indique la taille attendue au bout de 5 ans, ce qui a pour vertu de faire comprendre  l’emprise du végétal et ses besoins.

  • Une formation “Esprit du projet” auprès des intervenants au jardin, en présence de ses usagers. C’est selon moi un levier très prometteur. Il répond au besoin de l’équipe de s’approprier le jardin : “rôle du maitre d’usage”*. Il y a un volet formation/sensibilisation mais aussi un volet supervision : on écoute ce que l’équipe fait ou veut faire et on part de là, non pas de notre idée du projet. Le message à faire passer est que le jardin est un projet durable sur de nombreuses années mais qu’il n’est un jardin de soin que si l’on s’en sert. 

Cette formation doit se faire sans tarder après la réalisation du jardin : ateliers sensoriels, connaissance des plantes en place, petit entretien du jardin ensemble pendant une heure. La pénibilité aussi va se faire sentir gentiment; et la conscience de la nécessité d’entretenir aussi. Cette formation devrait se prévoir en amont dès la proposition de MIssion (chiffrage compris)

CONCLUSION

Nous pouvons retenir que le jardin de soin est un outil de mieux-être permanent. Cependant il exige un suivi qui en permet la fréquentation aisée et heureuse. Il doit faire partie du projet de soin de la structure. Ce discours clair et ferme doit être tenu dès le départ par le paysagiste. Au premier Copil,  il est bon de réfléchir sur l’esprit  in fine du projet et d’avoir l’approbation de toutes les parties en présence. Pour ma part c’est pour cette raison que je préfère le terme pensé de mission et non de devis : il y a là, la notion d’engagement, de réflexion, de délai,  de porter ce qu’on vous a confié et cela a un coût. La préoccupation a une valeur. elle est monayable aussi car ce qui ne vaut pas cher n’est pas sérieux chez nous autres occidentaux. Paysagiste est un métier que vous avez choisi, valorisé …et mérité.

* terme éclairant d’Anne et J.Paul Ribes “Association Belles plantes”  

crédit photo ph.Walch

Jardin sur dalles de l’Isle sur Sorgues (84) après trois années. ESAT qui fait l’entretien, pari réussi !

 

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