Le Jardin de Vies qui donne envie

Le bruit de la fontaine accompagne les premiers pas dans le jardin. Quel bel espace ! le regard fouille vers le fond et distingue un kiosque. Allons voir…Les couleurs de fleurs interpellent. Au passage, on joue avec les graminées et froisse un peu de sauge entre ses doigts. Le parfum nous accompagne dans un petit chemin plus secret. On peut s’assoir à l’ombre. Un jardin de maison de campagne ? Non ! Bienvenue au « Jardin de Vies » de l’hôpital de Diaconesses, dans l’Est parisien au tissu urbain très dense, réputé pour sa maternité, son Unité de Soin Palliatifs et son centre de fertilité.

 

 

Graines plantées

Le projet n’est pas sorti de nulle part ; pour que les graines germent …Il faut un bon terreau ! Alchimie de personnes et d’idées ont permis l’émergence de ce jardin exemplaire.

Pour Tatiana THEYS (TT), directrice du développement du Groupe Hospitalier Diaconesses-Croix Saint Simon et porteuse du projet, faire le lien entre l’homme et la nature au cœur de la cité est un axe de travail depuis de nombreuse années, comme en témoigne son « Plaidoyer pour des Terres Hospitalières, le jardin comme lisière entre la ville et l’hôpital (2014) ».  L’exploration et la valorisation de divers usages du jardin en établissement de santé : lien social, ouverture à la ville, expérimentation de voies thérapeutiques complémentaires, résilience au changement climatique en milieu urbain, sont au cœur du projet.

Aux Diaconesses (DCN), les soins palliatifs et la maternité cohabitent au sein d’un même bâtiment. Cette juxtaposition interpelle Servane Hibon-Marty (SHM), paysagiste et maître d’œuvre du jardin qui réfléchit d’emblée à un Jardin de Vies (le pluriel ne vous aura échappé !) où se rencontrent l’alpha et l’oméga du cycle de vie, où les saisons de la vie rencontrent les saisons du jardin. Plusieurs études montrent que les patients qui ont vue sur la nature, sur la verdure, guérissent plus vite. « Les espaces extérieurs deviennent alors de véritables acteurs de soins dans les espaces hospitaliers. Je ne réalise pas un espace vert, mais un jardin, un lieu d’accès à la nature, dans le cadre hospitalier certes, avec ses contraintes, auxquelles on doit répondre mais pas s’y plier » ajuste SHM qui, pendant plusieurs mois de concertation, a beaucoup écouté…

« Tous mes malades circulant avec des pieds de perfusion, en fauteuil ou en lit doivent accéder librement au jardin » pose Dr Laure Copel (LC), cheffe de service des soins palliatifs, qui s’est déjà bagarrée il y a quelques années contre la mise en place d’une porte tourniquet qui empêchait ses patients non valides d’aller au jardin « Vraiment trop injuste ! Les malades de soins palliatifs (et en particulier les parisiens) sont enfermés dans leur corps et leurs maladies et les voilà enfermés dans leur chambre ! » plaide-t-elle –

« Pour la pré-parturiente, les déterminants de la bonne avancée du travail ne sont pas uniquement pharmacologiques. Dans le service, tout est fait pour respecter la physiologie de la parturition. La déambulation, de par les sollicitations mécaniques, soulage les douleurs et génère un meilleur déroulement du travail. Quoi de mieux que de la réaliser en milieu naturel en se déplaçant au jardin ? propose Dr Richard Beddock (RB), chef de service de la maternité.

Et côté budget ? « Nous avons eu la chance d’une gouvernance alignée pour qui le projet était un investissement profitable pour tous. Assurée par le Fonds de Dotation Hospidon, la levée de fonds (350 000 € sur trois ans) fut l’une de nos meilleures campagnes en termes de portée, ralliant beaucoup de monde : fondations, entreprises mécènes, associations mais aussi particuliers, séduits par la thématique de santé globale (One Health) » s’exclame TT.

 

 

Pousses multiples

« Amener le jardin au plus près du bâtiment, tel était mon fil directeur » explique SHB. Ainsi, les terrasses de gravier aux fenêtres des malades en soins palliatifs ont été aménagées en favorisant la vue sur les plantes. Des chemins carrossables, clairement identifiés, praticables jusqu’au bout du jardin, ont été réhabilités permettant notamment aux patients alités de sortir. Pour eux et ceux en fauteuils, ça et là, la pelouse n’est pas fauchée : fleurs et graminées sont à portée de main et les arbres fruitiers en palissade permettent un accès facile à leurs fruits. Tous les sens sont subtilement stimulés : couleur des fleurs, senteurs des plantes aromatiques (romarin, lavande, sauge, camomille, absinthe et ciboulette) ou du vieux tilleul, doux toucher des feuilles, goût et odeur des framboises, des cassis ou de la citronnelle.

Une petite fille pousse le fauteuil de son grand-père. Elle s’arrête devant les framboises et en propose à son papy qui les goute. Les lèvres rouges, ils rient ensemble, petit moment délicieux, plaisir simple, bonheur immense.

Cherchant l’inspiration dans le jardin des simples (petit clin d’œil à l’histoire du lieu) plantes d’ornement se mêlent aux comestibles, toutes facilement reconnaissable et nommées, à la manière d’un jardin arboretum, et non d’un jardin de collection trop savant !

Mais tout n’est pas immédiatement visible : « le jardin est grand, il faut susciter la curiosité, révèle SHM, l’envie d’y partir » …Et aussi de s’y perdre ou s’y cacher, d’oublier que l’on est à l’hôpital.

« Dans des petits lieux plus intimes, les familles se retrouvent, partagent un bon souvenir, même si le moment est difficile. Le jardin apaise les émotions » observe Dr LC « En soins palliatifs, notre mission n’est pas uniquement sanitaire (comme la lutte contre la douleur) mais aussi sociétale, en aidant à l’acceptation de la fin de vie et en soutenant les aidants »

Intimité encore pour cette future maman, qui s’avance sur le « Sentier des 1000 pas » conçu pour elle (et son compagnon) à l’abri des regards, en offrant à celle qui va donner la vie un accès au cœur du vivant, « où elle pourra mobiliser ses ressources personnelles, marcher un peu, s’asseoir, s’étirer, faire quelques exercices, à son rythme, selon ses envies, avant de revenir en salle de travail où préside la même liberté d’être dans une baignoire pour la dilatation du col, utiliser un ballon pour se poser pour rouler, avoir des tapis pour s’allonger et accoucher par terre si on le souhaite » décrit Dr RB qui rédige avec son équipe une nouvelle charte de l’éco-maternité.

C’est la fête, on se retrouve dans le jardin, maman est là avec notre petit frère dans les bras, le soleil est doux, le bébé tête et nous, on fait un petit gouter près du grand arbre, on est bien, je joue à cache-cache pendant que les grands discutent. Mille fois mieux qu’une chambre fermée. Premier souvenir, maintenant et pour la vie, dans un jardin.

 

Destinations jardin

Une respiration pour les soignants : le jardin est bienfaiteur et relaxant durant les pauses. En temps de COVID, il fut le lieu de ressourcement très prisé et de réunions au grand air. Quant à sortir dans le jardin avec les patients… Certains soignants sont réticents, pensant qu’il n’est pas opportun de prendre du plaisir dans le cadre du travail. « En accord avec les chefs de service, j’ai guidé la découverte du lieu, d’endroits qu’ils ne connaissaient pas, renouant les liens avec le vivant en chacun de nous, autorisant à se faire du bien même au travail. Le jardin n’est pas dédié uniquement aux patients mais aussi aux soignants, aux proches qui les accompagnent ! » témoigne SHB

Respiration également pour les femmes en parcours d’AMP du centre de fertilité des éprouvant stress et anxiété à de très hauts niveaux. Le jardin apaise et ressource.  Il devient lieu de lien social. Entre femmes avant et après consultations ou gestes. Entre hommes, ceux chez qui le sperme a été prélevé le matin et qui y attendent leur compagne. « De nombreux ateliers sont proposés pour accompagner nos patientes. Aux beaux jours, certains se déroulent au jardin : l’atelier de chant, baptisé Ch’AMP, libère les tensions, la parole, apaise, apporte le bien-être de chanter ensemble ; le coaching sportif aide les patientes en obésité ; l’atelier en mouvement initié par une danseuse permet de bien se retrouver dans son corps, meurtri par les traitements » détaille Dr Gwenola Keromnès, cheffe de service du centre de fertilité

Enfin, respiration pour des groupes scolaires ou des personnes âgées de foyers voisins, toujours en temps accompagné (le jardin n’a pas vocation à être un square de quartier !) Et ainsi, le jardin ouvre l’hôpital sur la ville.

 

 

« Ce projet montre qu’il est possible à partir d’une démarche macroscopique de santé globale (One Health) de donner vie à l’échelle du terrain, à un jardin à visée préventive et thérapeutique permettant de faire la passerelle entre environnement et santé en milieu urbain dense.

Notre rêve est de voir le projet essaimer dans l’ensemble des établissements de santé à Paris et dans toute la France » partage TT.

 

Mireille Peyronnet

 

 

Pour en savoir plus

ARTICLES

  • Therapeutic landscapes: An evidence-based approach to designing restorative outdoor spaces Naomi Sachs, 2013
  • Plaidoyer « pour des Terres Hospitalières, le jardin, lisière entre ville et hôpital » Tatiana Theys, in Pour 2014/4 (N° 224), pages 233 à 240 Éd GREP
  • Paysages hospitaliers, Parcours à travers l’Europe. “Les vieux, droit de cité!”, Servane Hibon, TPFE (Diplôme de fin d’études, ENSP, Versailles, 2010.

LIVRES

  • Jardins thérapeutiques et hortithérapie, Jérôme Pelissier, Éd. Dunod, 2017
  • Conception et élaboration de jardin à l’usage des établissements sociaux, médico-sociaux, sanitaires, Éd Fondation Médéric Alzheimer, 2020
  • Créer un jardin de soin, du projet à la réalisation, Paule Lebay, Éd.Terres vivantes, 2022
  • Prendre soin des lieux de soins, Louise Deleur , Éd Les 3 colonnes , 2023
  • Le Shinrin Yoku, invitation aux bains de forêts, Isabelle Boucq, Éd Hatier, 2019

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