Infolettre n°9 - Plante à découvrir
Quand l’écorce porte nos émotions…
Après la mousse, poursuite de notre tour du végétal inspirant avec l’écorce, à partir de laquelle Samuel Chazot crée les masques et les visages de créatures sylvaines. À Aromas, en plein coeur du Jura, Samuel est animateur au service d’activités de jour de Notre Maison, établissement regroupant un foyer de vie pour personnes en situation de handicap et un EHPAD pour les personnes en situation de handicap devenues âgées et dépendantes.
Jérôme Rousselle : D’où te vient ton goût pour l’écorce ?
Samuel Chazot : J’ai grandi non loin d’Aromas, dans le Revermont, les premiers contreforts à l’ouest du Jura. Depuis tout petit j’ai pris l’habitude de m’immerger dans la nature, de me promener, tout seul, sans but, et de recevoir les cadeaux que m’offrait la forêt. C’est ainsi que j’ai découvert la beauté des écorces, leur capacité à stimuler notre sensorialité. Aller dans la forêt avec l’objectif de trouver des écorces est très différent de la simple promenade. Le regard change. L’attention est forte, le vécu sensoriel très particulier. Peu à peu, je suis devenu « cueilleur de matière ». Pour récolter les écorces, je ne m’intéresse pas aux arbres vivants mais à ceux, tombés à terre depuis un certain temps, dont l’écorce commence à se détacher.
Jérôme : As-tu des essences préférées ?
Samuel : Oui. Bien sûr, j’aime bien ne pas savoir à l’avance ce que je vais trouver mais j’apprécie beaucoup le frêne et le merisier. L’écorce du frêne est à la fois très solide et facile à décoller, même si le bois s’est décomposé. Le merisier, lui, a une écorce fine et souple. J’aime aussi utiliser l’écorce du bouleau très variable d’ailleurs selon qu’il s’agit de la jeune écorce, similaire au papier que l’on peut trouver à mi-hauteur de l’arbre ou celle, dure, rugueuse, crevassée, plus proche du sol. D’une manière générale, d‘ailleurs, les écorces d’une même essence peuvent être très différentes selon que les sujets sont jeunes, vieux, ou que l’on tombe sur un bourrelet cicatriciel. Mais toujours, dans l’écorce, je perçois le vécu, la force et la puissance de l’arbre. C'est cette matière toute chargée de la force de vie qui l'a fait craqueler, qui devient ma palette.
Jérôme : Comment utilises-tu l’écorce dans tes créations ?
Samuel : Je crée des masques, à poser sur le visage ou non. Au départ, je réalise une forme, souvent
en papier mâché, un masque sur lequel je vais assembler une mosaïque d’écorces, de mousses et de lichens que j’ai glanés. Je vais laisser chaque pièce d’écorce trouver sa place toute seule. Je ne sais pas où je vais et laisse les écorces me conduire. Le masque, c’est un support millénaire, intemporel et universel qui permet, selon les cultures, de donner un corps aux émotions, ou à "ce qui n'a pas de corps", l'immatériel, aux esprits, mais aussi à une forme de poésie derrière les mots... J’adore les réactions qu’il suscite, le jeu de miroirs qui se met en place avec la personne qui va l’approcher ou le manipuler. Souvent, les gens ne voient pas tout de suite le masque sous l’écorce. Quand ils réalisent cette présence, ça les surprend, les intrigue et les trouble.
Jérôme : Partages-tu cette passion avec les résidents que tu accompagnes ?
Samuel : Pas directement, pas de la même manière que dans le cadre de ma pratique personnelle, pour le moment. À Notre Maison, j’anime aussi de la pratique artistique mais je travaille dans d’autres directions, pas forcément à partir de matériaux naturels. Ça va certainement venir, ça aurait du sens. Pour le moment, avec les résidents, j’ai plus trouvé l’accès au jardin qu’à la forêt, qui est pourtant toute proche ! Cela tient beaucoup à la difficulté que certains peuvent éprouver à se déplacer, et le chemin (si proche!) du "bois des sœurs" a été abimé et demanderait à être restauré pour être plus praticable, une prochaine étape peut-être ? Vers les bains de forêt ?
Au jardin, je suis beaucoup sur l’activité concrète, tailler, planter, désherber, arroser. Pour autant, selon les groupes, je vais aussi aller vers le sensoriel (couleurs, odeurs, etc.), avec les plantes aromatiques par exemple. J’ai en effet suivi une formation sur les aromatiques et leurs transformations dans le cadre de mon BPREA de paysan boulanger.
Jérôme : Peux-tu nous en dire plus sur ton activité ?
Samuel : Je suis animateur pour les personnes en situation de handicap, mental et parfois moteur, du foyer de vie et de l’EHPAD de Notre Maison. J’interviens dans le cadre du Service d’Activités de Jour. Parmi les activités que je propose aux résidents, il y a notamment de la création artistique et du jardinage. Jusqu’à présent, j’ai travaillé sans formation particulière à l’hortithérapie, sur la base de mes connaissances, mes intuitions et mes goûts, en me documentant, bien sûr. Je travaille de manière très spontanée, très intuitive. Il faut tellement rebondir en fonction de la météo (extérieure et intérieure !), des capacités différentes dans chaque groupe, des aléas de la vie en institution... que je prépare finalement peu mes ateliers. Je m’adapte en permanence, sur la base de la palette d’outils, d’activités que je me suis peu à peu constituée pour suivre l’inspiration du moment. En ateliers de jardinage comme de création artistique, ne pas tout savoir à l’avance fait partie d’un processus créatif, comme une "prise de risque" choisie pour laisser de la place au vivant !
Jérôme : Je crois qu’un jardin thérapeutique est en cours de création…
Samuel : En effet, l’établissement est un ancien site religieux, en pleine nature, avec un grand parc et les traces d’un ancien potager. J’ai été embauché en 2018 pour animer ce lieu. Il est apparu rapidement que la création d’un jardin thérapeutique permettrait notamment de reconnecter avec cette histoire en même temps que de développer les ateliers de jardinage. À la campagne, on a tout autant besoin de soigner le rapport à la nature qu’en ville.
Nous avons travaillé avec Sarah Barbazanges Bertolotti, (du Jardin des Hêtres, membre active de la FFJNS) pour poser un diagnostic sur l’ensemble du site afin de renforcer le sentiment de vivre dans un parc et pour exploiter mieux et plus le potentiel thérapeutique du jardin. Dès le départ, les résidents ont été associés et impliqués dans le projet. On a trouvé des financements pour ce projet, grâce notamment à Greenlink. Le chantier du jardin a démarré au printemps et les plantations sont en cours.
Jérôme : Que t’a apporté ta participation au colloque Jardins collectifs, Jardins de santé ?
Samuel : Je ne suis pas encore membre de la FFJNS mais je vais bien sûr adhérer et j'aimerais beaucoup proposer à l'établissement d'adhérer également. J’ai connu la fédération à l’occasion d’un webinaire sur la pérennité des Jardins Thérapeutiques. Dans la foulée, C’est Paule Lebay (membre active de la FFJNS) qui m’a conseillé de venir au colloque. J’y suis allé sans attente particulière, mais avec une très forte envie de découvrir et de rencontrer. Et ça a été vraiment riche ! Au-delà du programme de tables rondes, visites et conférences que j’ai trouvé vraiment bien pensé et plein d’informations, pour moi, le plus fort a été de découvrir toutes ces personnes, ces structures qui travaillent avec le jardin sur les plans thérapeutique et social. Rencontrer des gens avec des parcours, des expériences si différentes m’a vraiment porté et enthousiasmé, mais d’un enthousiasme réaliste, étayé, les pieds sur terre. Ça m’a rassuré, conforté dans ma démarche, dans le travail que je fais de mon côté, un peu seul quand même, à Notre Maison. Je me rends compte aussi de la chance que j’ai dans cet établissement, avec un contexte très favorable à ce projet, un temps dédié pour travailler dessus, et une émulation collective qui se construit. Maintenant, il faut surtout que nous trouvions ensemble comment permettre aux collègues de s'en emparer également. Et j'ai le fort pressentiment, en tout cas je le souhaite très fort, que ce type d'accompagnement au contact du vivant pourrait devenir pleinement un outil officiel dans la politique de l’établissement.
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